L’ATELIER

Au cours de l'année universitaire 2023-24,  BUREAU (Daniel Zamarbide, Carine Pimenta, Galliane Zamarbide)  a été invité à diriger un atelier à l'École d'architecture de l’Université Laval, à Québec, Canada. Ce texte est une synthèse de la démarche qui a été proposée aux étudiants et des premiers résultats du studio.

Le studio doit son nom à une expression française très courante, « nous avons failli commencer sans vous », qui fait directement référence à une courte scène du film Le Fantôme de la Liberté de Luis Buñuel, l'un de ses plus radicaux qui affiche une méthodologie créative très enrichissante où des fragments d'expériences physiques sont entrelacés de moments imaginaires.

Le studio aspire à naviguer de manière fluide entre la fiction et la réalité sans hiérarchie claire, en utilisant des extrapolations et des métaphores comme outils de réalisation. Le titre est aussi et surtout une allusion directe aux nombreux « autres » sans lesquels l’architecture fonctionne depuis toujours. Il propose que même si nous n’aurions pas pu commencer de nombreuses histoires sans eux, nous n’y parviendrons pas. Inspiré par les écrits et la pensée des philosophes Baptiste Morizot et Vinciane Despret, le studio s'intéresse à l'inclusion des relations inter et multiespèces dans les transformations de nos habitations.

Un scénario sert de base à la recherche, nous projetant dans un monde saturé dans un présent-futur où il n'y a ni les ressources ni la volonté de poursuivre la construction de nouveaux bâtiments, de nouvelles structures habitables par l'homme. Un monde où nous, communauté humaine (dans la mesure où nous en formons une), vivons enfin avec la conscience collective que nous partageons avec d'autres communautés les territoires qui nous soutiennent, admettant ainsi que ce partage implique une co-dépendance vitale.

Le monde possible rompt une fois pour toutes avec la pensée dichotomique : nature-culture, humain-animal, mâle-femelle, dedans-dehors, public-privé. Il s'agit d'une rupture avec les catégories et catalogues de pensée qui conditionnent notre capacité à imaginer en dehors de certains préceptes solidement ancrés dans notre pratique architecturale. En architecture, la pensée catalogue a une réalité bien connue : elle s'appelle typologie, ou classification par type.

La notion d'espaces topologiques (George Teyssot) pourrait être plus utile. il suggère des espaces intermédiaires, des lieux intermédiaires. Ces espaces possèdent la capacité de se transformer sans passer par des ruptures, en travaillant constamment sur les relations de voisinage qui leur permettent de se métamorphoser.

Notre proposition souhaite enquêter sur les seuils, ceux qui rassemblent et accueillent nos voisins, cohabitants terrestres. Totoro vit avec nous, dans le prolongement intérieur et extérieur de notre maison, et à la frontière entre le physique et le rêve.

Nos maisons constituent le contexte d'intervention. Ce sont des espaces familiers, que nous allons arpenter et étudier. Nous passerons du temps à les observer, à les comprendre, à suivre nos propres habitudes et routines, à y projeter des usages nouveaux et futurs, à spéculer sur la façon dont nos vies évolueront et comment les lieux s'adapteront aux changements inévitables.

L'étude de ces environnements peut s'appuyer sur nos expériences vécues, mais aussi à travers le costume de nos architectes, capables d'observer et de travailler avec l'espace et ses configurations.

Nos maisons sont les lieux que nous ouvrons aux autres.

L'invitation concerne d'autres formes d'êtres vivants, non humains, à qui nos maisons ouvriront un lieu pour « rendre les territoires que nous habitons habitables par d'autres espèces, à grande échelle, en nous rendant sensibles à leurs demandes invisibles, en veillant à leurs besoins et en regardant depuis leurs yeux." (Baptiste Morizot, Sur la piste des animaux).

Ce dont nous parlons ici, c’est de transformer un état de domination séculaire sur les formes de vie non humaines. Certes, cela nécessite un changement de paradigme majeur dans notre manière de fonctionner en architecture et dans la transformation des espaces, mais il nous semble fondamental de réfléchir aux implications spatiales de cette conscience de l’habitation collective.

Si les premiers chiens ont été domestiqués il y a environ 30 000 ans, n'est-il pas temps de leur donner une place dans nos maisons ? Inviter d’autres espèces autour de nous à cohabiter avec nous dans nos maisons est une invitation essentielle, et qui peut remettre en question notre façon collective d’occuper le monde. C'est aussi une manière de remettre en question les acquis typologiques sur lesquels repose une grande partie de l'histoire et de la pratique de l'architecture.